Proposition de loi sur la délinquance financière : notre dossier

Le Sénat s’est dotée d’une nouvelle mission d’ampleur : légiférer pour renforcer le dispositif de lutte contre la criminalité organisée et le blanchiment de capitaux. Le 31 juillet dernier, les sénateurs Raphaël Daubet et Nathalie Goulet ont déposé une proposition de loi en ce sens : 30 articles, répartis en cinq chapitres, doivent être prochainement discutés par la chambre haute du parlement français.

Cette proposition de loi était attendue : elle fait suite aux travaux de la commission d’enquête sur la délinquance financière, qui a remis ses conclusions le 18 juin dernier.

A l’occasion du dépôt de cette proposition de loi, nous vous proposons un dossier thématique à ce sujet, comme nous l’avons fait précédemment pour les thématiques de la lutte contre la corruption, puis la lutte contre le financement du terrorisme.

Nos publications en lien avec la commission d’enquête sénatoriale:

Nos publications en lien avec la proposition de loi :

  • A venir à partir du 19 août.

Quelles infractions sont considérées comme de la criminalité financière ?

L’agence de coopération policière internationale Interpol définit la criminalité financière comme allant « du simple vol ou fraude commis par des individus malintentionnés à des opérations d’envergure orchestrées par des criminels organisés présents sur tous les continents », et ajoute « la gravité de ces activités criminelles ne doit pas être sous-estimée car, outre leurs répercussions économiques et sociales, elles sont souvent étroitement liées à la criminalité violente, voire au terrorisme ».

On considère généralement que la criminalité financière inclut la corruption et ses dérivés, les fraudes fiscales, sociales et douanières, les différentes formes d’escroqueries économiques (de l’usurpation d’identité au commerce de contrefaçon), le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme ou encore le contournement des sanctions internationales.

Proposition de loi contre la criminalité financière : de quoi s’agit-il ?

La proposition de loi «en vue de faire de la lutte contre la gangstérisation de la France par la criminalité organisée et le blanchiment d’argent une priorité» est un texte présenté par les sénateurs Raphaël Daubet (Lot) et Nathalie Goulet (Orne). Il vise à «repenser en profondeur les outils juridiques de lutte contre la délinquance financière, dans une logique systémique et cohérente», selon l’exposé des motifs.

Le texte a été déposé le 31 juillet dernier. Il est consultable depuis le site du Sénat.

Dans quel contexte cette proposition de loi est-elle présentée ?

Cette proposition de loi fait suite à la commission d’enquête sénatoriale «aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe», Présidée par Raphaël Daubet et dont le rôle de rapporteur était assuré par Nathalie Goulet. Cette commission a remis ses conclusions le 18 juin 2025, au sein d’un rapport intitulé « Ces dizaines de milliards qui gangrènent la société ».

Cette commission faisait elle-même suite à une autre commission d’enquête sénatoriale dédiée à la lutte contre le narcotrafic, qui a également donné lieu à une proposition de loi, adoptée le 13 juin 2025. En juillet 2024, nous avions interviewé Jérôme Durain, Président de la commission d’enquête, s’agissant de ses conclusions.

Quel est son périmètre ? Ses objectifs ?

Là où la loi contre le narcotrafic se limitait à la lutte contre les trafics de stupéfiants, la proposition de loi contre la criminalité financière se veut plus ambitieuse : lutte contre la corruption, contre le blanchiment, contre les fraudes et la contrefaçon, renforcement du dispositif national de LCB-FT… La proposition appréhende la criminalité financière dans sa dimension pluridisciplinaire. C’est à la fois son mérite et ce qui constitue ses limites : pour apporter une réponse adaptée, il est en effet impératif que l’Etat aborde la criminalité financière dans son ensemble, tant une pratique en nourrit une autre. Mais à vouloir couvrir des sujets aussi différents, même s’ils ont en commun les fils tissés par le blanchiment, la proposition de loi s’expose au risque de passer pour un texte un peu fourre-tout.

Les objectifs sont en tout cas ambitieux, et au-delà des mesures prises individuellement, ce texte donne l’occasion de remettre le sujet de la criminalité financière sous les projecteurs. C’est donc aussi une nouvelle occasion pour le gouvernement de se saisir du sujet, et d’y apporter une réponse à la hauteur des enjeux.

A quel calendrier faut-il s’attendre ?

Le chemin est encore long : 11 mois se sont écoulés entre le dépôt de la proposition de loi contre le narcotrafic et son adoption en juin dernier. Sauf que le texte avait bénéficié d’une procédure accélérée. La proposition de loi contre la délinquance financière n’a pas encore placée à l’ordre du jour des travaux du Sénat. Cela sera certainement fait dans les prochaines semaines, mais les discussions à la chambre haute peuvent s’étendre sur plusieurs mois. Une fois un premier consensus arrêté au Sénat, il s’agira de présenter le texte à l’Assemblée Nationale, et probablement d’attendre une proposition d’une commission mixte paritaire. Si le processus législatif va jusqu’au bout, nous pourrions donc nous attendre à une loi promulguée à la fin de l’année 2026. Reste à savoir quels articles auront été conservés dans la version définitive.

Criminalité organisée et blanchiment : comment se situe la France ?

Le rapport de la commission d’enquête dresse un constat sans appel : il qualifie le blanchiment de « crime qui permet tous les autres ». Et la dimension est conséquente : entre 2 et 5% du PIB mondial serait blanchi chaque année, soit près de 60 milliards d’euros pour la France. Dans le même temps, seuls 2% des avoirs blanchis seraient saisis.

Extrait du rapport de la commission d’enquête sénatoriale Ces dizaines de milliards qui gangrènent la société

Au-delà de ces travaux parlementaires, plusieurs sources nous permettent de dresser un bilan de la situation française, même si aucune ne donne une vision totalement consolidée:

  • Du côté de la corruption, infraction financière régulièrement au cœur des schémas de criminalité organisée, l’ONG Transparency International publie chaque année un indice mondial de la perception de la corruption : dans sa dernière édition, la France y apparaît en 25ème position sur 180 pays et territoires, avec un score de 67 sur 100. Une position plutôt peu flatteuse, qui devient même inquiétante lorsqu’on la place dans son contexte : la France a perdu quatre points et cinq places en 2024, après plusieurs années de stagnation.

  • S’agissant des fraudes sociales et fiscales, il n’existe pas d’outil comparatif international de référence : les chiffres avancés dépendent beaucoup du périmètre retenu, de la manière de comptabiliser les fraudes et de la fiabilité des informations communiquées par les organes étatiques. Dans une dimension analytique, mais sans fournir de chiffre, l’OCDE publie annuellement un rapport sur l’administration fiscale de ses pays membres, qui comprend une section dédiée au manque à gagner fiscal. Au niveau national, le Haut Conseil du Financement de la Protection Sociale (HCFIPS) a publié en 2024 un rapport sur la fraude sociale, qui estime à 13 milliards d’euros le manque à gagner lié à la fraude pour la Sécurité Sociale. Il n’existe pas d’estimation équivalente pour la fraude fiscale, qui pourrait représenter de quelques milliards d’euros à près de 100 milliards selon certains syndicats des Finances publiques. En mars 2025, le gouvernement a publié un rapport dans le cadre d’un « point d’étape » de son plan de lutte contre toutes les fraudes, revenant sur chaque typologie de fraude et fournissant une estimation des fraudes détectées : près de 17 milliards pour la fraude fiscale, presque trois milliards pour la fraude sociale.

  • Dans une approche plus globale et plus systémique enfin, on peut se référer au rapports du GAFI, qui évalue régulièrement les dispositifs nationaux de LCB-FT de ses membres. En 2022, l’organisation a publié un rapport d’évaluation du dispositif français. L’évaluation globale était plutôt positive, notamment dans une approche comparative avec d’autres juridictions. Mais le GAFI pointait cependant plusieurs insuffisances, et dans le jeu de la comparaison, la France n’est pas la juridiction la mieux classée au niveau européen.

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