Délinquance financière: la commission d’enquête sénatoriale rend ses conclusions

La commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance financière vient de rendre ses conclusions, après plusieurs mois de travaux et des dizaines d’auditions, dont une incluant notre association. Au travers de deux rapports de près de 1000 pages, la commission, présidée par le sénateur du Lot, Raphaël Daubet (groupe RDSE) et rapporté par la sénatrice de l’Orne, Nathalie Goulet (Union Centriste) dresse un état des lieux d’une situation assez préoccupante et propose plusieurs recommandations. Avec un fil rouge : le blanchiment de capitaux constitue la pierre angulaire de la criminalité organisée.

Blanchiment et délinquance financière : un fléau aux montants vertigineux

Les travaux de la commission ont un mérite premier : celui de lier, sans ambiguïté, les notions de criminalité financière et de blanchiment. Cette dernière pratique étant présentée comme « le crime qui permet tous les autres ». Et de donner quelques éléments chiffrés, déjà connus mais ici contextualisés dans le cadre spécifique du travail parlementaire et du périmètre de la commission :

  • Entre 2 et 5% du PIB mondial est blanchi chaque année

  • Le blanchiment est plus faible en Europe, mais représente quand même de l’ordre de 1,3% du PIB de l’Union Européenne, soit environ 38 milliards d’euros par an pour la France

  • Les principales sources de blanchiment en France seraient constituées des fraudes aux finances publiques (en premier lieu desquelles la fraude fiscale), les contrefaçons et le narcotrafic

Extrait du rapport de la commission d’enquête aux fins d’évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis, 2025, page 10

Un constat accablant : l’absence de stratégie nationale de lutte contre le blanchiment

Si le blanchiment est bien compris et bien cerné par les autorités françaises, la commission d’enquête déplore l’absence de stratégie globale cohérente pour appréhender la lutte contre ce phénomène.

Le rapport constate que la règlementation de LCB-FT est désormais assez complète, mais que son application demeure perfectible. L’appropriation des obligations réglementaires par certains professionnels est lacunaire, en particulier du côté des secteurs non-financiers, dont les déclarations de soupçons transmises à Tracfin son trop peu nombreuses et parfois trop peu qualitatives. Là encore, le sujet n’est pas nouveau et documenté depuis plusieurs années dans les rapports d’activité de Tracfin. Le rapport souligne en particulier des insuffisances du côté des avocats et du secteur de l’immobilier.

Outre le volet préventif, la commission dresse un bilan amer des outils répressifs et judiciaires: la faute à des dispositifs peu maîtrisés, des effectifs insuffisants et peu formés, des outils obsolètes. On retiendra notamment la trop faible utilisation des possibilités de confiscation des avoirs criminels, sujet dont nous avions discuté il y a quelques mois avec la Directrice de l’AGRASC, mais aussi une problématique plus large de motivation et d’investissement de la part des enquêteurs.

Reste l’enjeu de la coopération internationale, essentielle dans la mesure où la criminalité financière s’est largement internationalisée. Le rapport souligne l’utilité du GAFI et les perspectives prometteuses de l’AMLA, mais regrette dans le même temps que les coopérations policière et judiciaire ne soient pas davantage mobilisées.

50 recommandations pour une riposte d’envergure

A l’issue de ses travaux, la commission d’enquête a formulé 50 recommandations, portant aussi bien sur des sujets de stratégie à long terme que sur des éléments très opérationnels.

On retiendra en particulier les propositions suivantes :

  • Mieux réguler les cryptoactifs et anticiper la transposition de la future directive européenne instaurant un fichier national des comptes bancaires (recommandation n°5)

  • Renforcer le contrôle de proximité des petits commerces (recommandation n°10)

  • Diminuer les seuils d’assujettissement à la loi Sapin II (recommandation n°12)

  • Renforcer les moyens de la commission nationale des sanctions, et engager une réflexion sur une fusion des commissions des sanctions de l’ACPR, de l’AMF et de la CNS (recommandation n°18)

  • Réviser la réglementation européenne applicable aux ports francs (recommandation n°26)

  • Créer une obligation pour les sociétés commerciales de déclarer à l’administration fiscale les comptes détenus à l’étranger (recommandation n°29)

  • Envisager la création d’une plateforme nationale de partage des informations KYC (recommandation n°31)

  • Promouvoir auprès du GAFI un durcissement des conditions de sortie de la liste grise (recommandation n°45)

  • Renforcer la coopération interétatique en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales (recommandation n°48)

Outre ces propositions, le rapport formule plusieurs recommandations portant sur les moyens des enquêteurs, policiers et douaniers, sur les exigences en matière de formation des professions non-financières ou plus largement sur la coopération internationale. De nombreuses pistes bienvenues, globalement très pertinentes et pour certaines ambitieuses. On regrettera cependant la timidité de la commission en matière de lutte contre la corruption, qui aurait mérité davantage d’attention.

La commission d’enquête incluait également dans son périmètre la lutte contre le contournement des sanctions internationales. Un enjeu de taille, qui aurait pu faire l’objet d’une commission à part entière… le sujet est finalement assez peu traité dans le rapport, qui recommande toutefois un renforcement du pilotage des désignations et une extension des compétences du parquet européen au sujet des sanctions.

 

Cette commission d’enquête, très ambitieuse dans son périmètre et ses objectifs, propose donc un rapport très complet et des conclusions attendues. Les constats étaient globalement connus et les recommandations avaient déjà, pour beaucoup, été évoquées. Mais par son approche transversale et sa dimension pluridisciplinaire, la commission conclut un travail d’ampleur et dessine un programme ambitieux : placer le blanchiment au centre d’une stratégie globale de sécurité financière.  Pour être efficace, cette stratégie exige une impulsion politique forte et dynamique.

Le rapport, sa synthèse et les comptes rendus d’audition sont disponibles sur le site du Sénat.

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