Tracfin publie son rapport d’activité sur l’année 2024
La cellule de renseignement financier (CRF) française Tracfin a publié son rapport d’activité annuel, au moyen d’un document riche d’informations, qui dresse un panorama complet des missions, actions, résultats et perspectives du service de renseignement. Le rapport se concentre sur trois axes essentiels : la lutte contre le blanchiment des capitaux d’origine criminelle, l’identification et la répression des atteintes aux finances publiques, et enfin la défense des intérêts fondamentaux de la Nation à travers la lutte contre le financement du terrorisme.
Pour rappel, Tracfin est chargé de recevoir et traiter le renseignement économique et financier, mais ne peut pas s’autosaisir : ses informations proviennent exclusivement :
Des déclarations issues des 230 000 professionnels assujettis à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (banques, assurances, notaires, avocats, experts-comptables, casinos, agents immobiliers, etc.) ;
Des organismes publics et services de l’État (administrations, collectivités territoriales, établissements publics, etc.) ;
Des cellules de renseignement financier étrangères.
Relations avec les professions assujetties, coopération avec les administrations partenaires et les juridictions étrangères : Tracfin sur tous les fronts
En 2024, Tracfin a renforcé ses relations avec les professions déclarantes, qui constituent sa principale source d’informations. Le secteur bancaire représente toujours la majorité des flux : il est à l’origine de plus de 80 % des déclarations de soupçon (DS) reçues en 2024. Ces informations sont souvent la base de travail des enquêteurs.
Tracfin a cependant constaté une forte hétérogénéité dans les éléments transmis: certains documents sont complets et exploitables, d’autres très lacunaires, ce qui ralentit les enquêtes. Pour corriger cela, le service a lancé en 2024 un dialogue structuré avec les principaux établissements bancaires français. L’objectif est d’aboutir à un format unifié et standardisé, opérationnel d’ici 2026. En parallèle, un nouveau formulaire de DS a été déployé. Après une phase test débutée en 2023 avec les notaires, le dispositif a été généralisé en 2024 à toutes les professions, y compris les avocats et les caisses de règlements pécuniaires des avocats.
Depuis fin 2023, une cellule de veille interministérielle anti-fraude a été créée sous l’égide de la Mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF). Tracfin y joue un rôle central en partageant ses capteurs financiers, ce qui permet de détecter rapidement de nouveaux schémas de fraude.
Un pas supplémentaire a été franchi en 2024 avec la signature d’un protocole de coopération avec le Parquet national financier (PNF). Ce protocole précise les modalités d’échanges entre Tracfin et le PNF : transmissions judiciaires, réponses aux réquisitions, suivi des enquêtes. Cette articulation vise à fluidifier et accélérer les procédures.
Sur le plan international, 2024 a été marquée par deux grands événements pour lesquels Tracfin a été impliqué: la création de l’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (AMLA), et la 30ᵉ réunion plénière du Groupe Egmont, organisée à Paris.
Tracfin a enfin contribué aux initiatives de l’OCDE, du G20 et de l’ONU dans le cadre de la lutte contre la corruption, les délits fiscaux et le blanchiment transnational.
Une activité soutenue en 2024
En 2024, Tracfin a transmis plus de 4000 notes d’information à ses partenaires (en augmentation de 10 % par rapport à 2023), majoritairement à d’autres services de renseignement (1703 notes), mais dans des proportions non négligeables à l’autorité judiciaire (633), aux services de lutte contre les fraudes fiscales, sociales et douanières (543), aux CRF étrangères (913) et aux autres administrations publiques (206).
Le service a également produit 59 signalements globalisés, à l’encontre de 12079 cibles. Ces signalements concernent des thématiques récurrentes comme le travail dissimulé, la dissimulation de revenus, les fraudes sociales ou les jeux d’argent. Ils permettent aux administrations de lancer rapidement des contrôles ciblés.
Le rapport d’activité mentionne encore les quelques 452 notes d’information en lien avec le blanchiment transmises aux autorités judiciaires (contre 387 l’année précédente). Ces transmissions couvrent des informations variées : identification de comptes bancaires, analyse de flux financiers, cartographie des liens entre personnes physiques et morales, localisation de suspects, etc. Ces notes peuvent être intégrées aux procédures judiciaires et servir de pièces dans un dossier.
D’un point de vue organisationnel enfin, Tracfin a commencé l’expérimentation de “plateaux d’enquête conjointe”, qui visent à rassembler des agents issus de différents départements pour traiter une thématique complexe, prioritaire et transversale. Ses missions devraient par ailleurs s’amplifier encore en 2025 du fait de la promulgation de loi sur le narcotrafic, qui étend les obligations de vigilance et de déclarations à de nouvelles professions (vendeurs et loueurs de véhicules de luxes, marchands de biens et promoteurs immobiliers) et renforce la portée de la présomption de blanchiment.
Fraude sociale, Jeux Olympiques, chute du régime syrien : des priorités marquées par l’actualité
Au-delà des chiffres clés, le rapport revient largement sur les thématiques sur lesquelles Tracfin a travaillé : des sujets forcément liés à l’actualité et aux priorités établies par le gouvernement.
En lien avec le plan de lutte contre toutes les fraudes, Tracfin a accentué sa collaboration au sein du Groupe opérationnel national anti-fraude (GONAF) et identifié plusieurs dossiers en lien avec du travail dissimulé. Le service de renseignement a également transmis 669 notes d’information en lien avec les fraudes aux finances publiques.
Le rapport mentionne aussi la mobilisation de Tracfin lors des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, la principale crainte étant celle d’actions terroristes pendant les jeux.
S’agissant de la lutte contre le narcotrafic, considéré comme une des premières sources de blanchiment en France, est soulignée la nécessaire montée en puissance du service pour capter des flux toujours plus rapides, impliquant aussi bien des vecteurs traditionnels (espèces, opérations bancaires, etc.) que des actifs numériques. Là aussi, la loi de 2025 contre le narcotrafic devrait renforcer les capacités de Tracfin en ce sens.
Concernant le volet international enfin, le rapport revient sur le rôle de Tracfin en matière d’analyse de flux suspects vers et depuis la Syrie, à la suite de la chute du régime syrien fin 2024, mais aussi et surtout sur le caractère prioritaire accordé à la lutte contre le contournement de sanctions à l’encontre de la Russie.
Les priorités stratégiques pour 2025 et au-delà
Le rapport d’activité mentionne encore plusieurs axes identifiés comme prioritaires pour la CRF en 2025 – et plus largement dans les années à venir. Citons en vrac :
L’intensification de la lutte contre le blanchiment, au moyen de la généralisation de ”circuits courts Tracfin” pour bloquer immédiatement les flux criminels, d’une détection accrue des sociétés hybrides (utilisées à la fois à des fins légitimes et comme véhicules de fraude) et de la poursuite de la lutte contre la corruption des agents publics, considérée comme un enjeu majeur de probité.
La poursuite des travaux dans la lutte aux fraudes aux finances publiques, en surveillant les nouveaux dispositifs d’aides publiques.
La meilleure prise en compte des innovations technologiques, en particulier le recours aux méthodes renforçant l’anonymat, tels que les mixers d’actifs virtuels.
Un développement accru des partenariats avec les partenaires européens et internationaux, notamment dans le cadre du déploiement de l’AMLA.
Les circuits courts Tracfin, extrait du Rapport d'activité 2024, page 22, Tracfin, 2025