Rapport annuel Tracfin: tome III, un panorama affiné de la menace de BC-FT

Pour la troisième année consécutive, Tracfin publie un nouveau volet de son rapport annuel, cette fois dédié à l’état de la menace, synthèse stratégique et pratique des typologies de blanchiment et de financement du terrorisme (BC-FT). Elle fait suite aux publications, plus tôt cette année, d’un premier volet consacré à l’activité déclarative, puis d’un rapport dédié à son propre bilan d’activité.

Pour cet “état de la menace”, l’objectif est double : outiller les professions déclarantes dans l’identification des schémas récurrents ou émergents, et partager les constats du Service sur les nouvelles méthodes utilisées pour dissimuler les flux illicites.

Tracfin insiste sur le caractère mouvant de la criminalité financière : l’évolution technologique, la diversification des produits financiers et la mondialisation des flux créent un terrain favorable à des montages complexes et transfrontaliers.  Si les techniques de blanchiment «traditionnelles» persistent, les cryptoactifs, plateformes de jeux et sociétés-écrans sont désormais des instruments de dissimulation à part entière.

L’édition 2024-2025 du rapport illustre la complémentarité croissante du partenariat public-privé. Les 50 professions assujetties à la LCB-FT y jouent un rôle central : elles constituent les «capteurs de terrain» dont les déclarations alimentent les analyses de Tracfin. Le rapport rappelle que chaque fraude déjouée contribue directement à l’assainissement des finances publiques, en renforçant la capacité de l’État à agir sans alourdir la charge fiscale.

Les grandes tendances de la menace: entre innovation et continuité

L’abécédaire du rapport recense 21 cas-types, classés par secteur ou vecteur de risque, de «l’abus de confiance» aux «stupéfiants  en passant par le «terrorisme». Ces cas, issus d’analyses croisées des déclarations de soupçon, offrent un panorama riche des vulnérabilités identifiées en 2024.

1. L’économie réelle toujours exploitée

Les cas-types consacrés aux fraudes fiscales et aux fraudes sociales occupent une place importante du rapport;

  • Les associations et organismes à but non lucratif (OBNL) restent exploités pour détourner des fonds publics ou privés: subventions non justifiées, absence de commissaire aux comptes, retraits d’espèces et acquisitions de biens personnels.

  • Le secteur immobilier reste une valeur refuge pour le blanchiment: acquisitions via des sociétés étrangères, sous-évaluation des biens à l’IFI ou réinvestissement de dividendes non déclarés.

  • Les chèques cadeaux ou programmes de fidélité constituent de nouveaux vecteurs de fraude sociale et d’abus de biens sociaux, souvent difficiles à tracer.

Cas type de blanchiment via des chèques cadeaux - LCB-FT : État de la menace, page 26, Tracfin, 2025

2. Les circuits financiers sophistiqués

Le rapport met également en lumière la montée en puissance du blanchiment via le commerce international. Les crédits documentaires, qui peuvent être adossés à de fausses transactions, sont utilisés pour transférer des fonds entre continents sous couvert d’échanges commerciaux.
Les banques de financement et d’investissement sont en première ligne face à ces schémas, dans lesquels l’usage de faux documents et la complexité des flux rendent l’analyse plus ardue.

En outre, les banques privées restent exposées à la fraude patrimoniale, notamment à travers la sous-évaluation de l’IFI, la dissimulation d’avoirs ou de bénéficiaires effectifs via des trusts étrangers ou encore l’utilisation de structures de détention offshore à faible transparence.
Le droit d’opposition de Tracfin, mentionné à plusieurs reprises, constitue cependant un outil clé : il permet de bloquer temporairement des opérations suspectes pour en vérifier la légitimité.

3. Le numérique comme catalyseur de risques

Le développement des cryptoactifs bouleverse durablement la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Tracfin analyse notamment le phénomène des rugpulls. Le rugpull est un type de fraude à l’investissement en cryptoactifs, dans lequel des services ou projets de cryptoactifs, en apparence légitimes, disparaissent sans restituer les fonds aux utilisateurs. Il intervient généralement dans l’écosystème de la finance décentralisée (DeFi).
Le Service de renseignement financier relève également que les transactions via plateformes étrangères non enregistrées compliquent le suivi des flux et favorisent le contournement des sanctions internationales.

Enfin, les fraudes en ligne se diversifient: achats de données personnelles sur le darknet, falsification de justificatifs d’identité ou d’ordonnances, utilisation de comptes de paiement multiples pour fragmenter les flux… Ces techniques sont fréquemment associées à des fraudes à la Sécurité sociale ou aux aides publiques, notamment dans les dispositifs de santé et de soutien à l’emploi.

Zoom sur quelques typologies emblématiques :

  • Abus de confiance dans le domaine associatif : des dirigeants détournent les subventions publiques pour financer un train de vie personnel (retraits d’espèces, acquisition de biens immobiliers).

  • Fraude à la fiscalité automobile : immatriculation frauduleuse de véhicules à l’étranger pour éviter TVA et malus CO₂.

  • Fraude au crédit d’impôt : constitution de sociétés fictives d’aide à la personne pour bénéficier indûment des remboursements de la DGFiP ou de l’Urssaf.

  • Blanchiment via le jeu : rachat de tickets gagnants et usage de sociétés-écrans servant de comptes de passage.

  • Fraude via trust étranger : transfert d’actifs vers des structures opaques à l’étranger et dissimulation de bénéficiaires effectifs.

Ces exemples illustrent la perméabilité croissante entre fraude fiscale, sociale et corruption, désormais traitées comme un continuum d’infractions économiques.

Un dispositif en adaptation permanente

Le rapport revient brièvement sur le Forum Tracfin 2024, qui a réuni près de 400 acteurs publics et privés, et a réaffirmé la centralité du partenariat institutionnel. Les tables rondes organisées à cette occasion ont porté successivement sur trois thématiques: la lutte contre le narcotrafic, la prévention des fraudes aux dispositifs d’aides publiques et la lutte contre le blanchiment dans le secteur immobilier. Ces échanges, réunissant acteurs publics et privés, ont illustré la diversité des enjeux auxquels le dispositif français de LCB-FT est confronté.

Tracfin souligne plus largement la complémentarité entre les 50 professions déclarantes et invite les acteurs, financiers comme non financiers, à poursuivre leurs efforts d’adaptation face à l’évolution des schémas de blanchiment et de financement du terrorisme.

Comme toujours avec les publications de Tracfin, nous recommandons aux profesionnels de la conformité et aux entités assujetties de consulter attentivement ces informations, qui peuvent utilement aguiller l’approche par les risques et le déploiement des dispositifs. Ce format de rapport en particulier, très accessible et pédagogique, constitue un bon outil pour reconsidérer, sous un angle opérationnel, l’exercice de sa vigilance.

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