Plan pluriannuel de lutte contre la corruption: tournant stratégique ou opération de com?
C’est peu dire qu’il était attendu depuis longtemps : en ce mois de novembre 2025, le gouvernement s’est fendu d’un communiqué pour annoncer son nouveau plan national pluriannuel de lutte contre la corruption, couvrant la période 2025-2029.
Ce plan, dont la mise en œuvre sera pilotée par l’Agence Française Anticorruption, se décompose en 36 mesures destinées à renforcer la prévention, la détection et la répression des atteintes à la probité – c’est-à-dire la corruption, le trafic d’influence, la concussion, la prise illégale d’intérêts, le détournement de fonds publics et le favoritisme.
L’adoption de ce plan intervient dans un climat particulier : la corruption reste une préoccupation majeure, alors que la France a perdu plusieurs places dans le classement international de la corruption, et que des risques de pratiques corruptives au sein-même des administrations et services de l’Etat ont été mis en lumière par la loi sur le narcotrafic. Le nombre de personnes ayant fait l’objet de poursuites pour des atteintes à la probité a significativement augmenté en dix ans, même si cela résulte aussi d’une plus grande attention portée sur ces thématiques.
Quatre axes stratégiques ambitieux pour 36 mesures plus ou moins concrètes
Le plan repose sur quatre axes majeurs, eux-mêmes structurés en objectifs et mesures plus ou moins opérationnelles.
Le premier, le plus fourni, se consacre à la lutte contre la corruption au sein de l’administration de l’Etat. Pour notamment limiter les phénomènes de corruption «de basse intensité», dont les effets peuvent être conséquents à bien des égards, le plan propose en premier lieu l’établissement d’une véritable stratégie anticorruption, au moyen d’un nouveau comité interministériel dédié (mesure n°1). En lien avec cette volonté d’un pilotage plus rapproché, on peut mentionner une mesure (n°8) consacrée au suivi des risques émergents, des actions plus spécifiques à certains facteurs de risque (mesure n°10 portant sur la vigilance dans les ports, mesure n°11 pour les aéroports) ou encore une meilleure prise en compte des signalements (n°13).
Infographie extraite du plan, page 14
Plus largement, on saluera la volonté de renforcer la prévention et la détection des atteintes à la probité, au travers de la mise en place d’un dispositif complet dans chaque administration : analyse de risques, audits internes, formations ciblées, sécurisation des systèmes d’information, etc.
De manière plus opérationnelle, le plan prévoit un renforcement des moyens des services d’enquête (mesure n°18), par exemple avec la création d’une unité dédiée à la lutte contre la corruption au sein de l’IGPN ou d’un groupe spécialisé sur la narco-corruption à l’OCLCIFF. Il est également proposé d’habiliter la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques à la réception d’informations de la part de Tracfin (n°17).
Enfin, sujet qui nous est cher, ce premier axe inclut une mesure (n°21) qui souhaite renforcer l’entraide pénale internationale dans les cas de restitution des biens mal acquis.
Le deuxième axe effectue un zoom du niveau étatique aux collectivités territoriales : trois mesures doivent permettre aux collectivités, élus et agents territoriaux de mieux appliquer le dispositif de prévention de la corruption. D’un point de vue opérationnel, cela se traduit essentiellement par un renforcement des formations des agents concernés, ce qui peut sembler un peu léger au regard de l’exposition des collectivités aux risques du quotidien.
Le troisième axe ne concerne plus les entités publiques : il s’agit cette fois de mieux former les professionnels du chiffre et du droit (mesure n°27), de contrôler davantage les entreprises assujetties aux obligations de la loi Sapin 2 (n°28), ou encore de renforcer la lutte contre la corruption au niveau des échanges internationaux (n°30).
Le quatrième et dernier axe du plan se focalise justement sur la dimension internationale de la lutte contre la corruption. Six mesures viennent plaider pour une stratégie européenne accrue (n°31), qui impliquerait la création d’un observatoire dédié, et pour une coopération multilatérale plus soutenue (n°36).
Une démarche bienvenue mais qui manque d’agilité
Sur le papier, ce plan pluriannuel paraît plutôt ambitieux. Sa publication, maintes fois reportée, constitue en soi une bonne nouvelle. Le parti pris de renforcer le pilotage au niveau interministériel va évidemment dans le bon sens. Reste que la mise en œuvre opérationnelle du plan pose question : la priorisation n’est pas clairement formulée, des indicateurs chiffrés ne sont pas associés aux objectifs, et la notion même de «succès» demeure implicite. Dans un contexte où les organisations publiques s’orientent vers des approches plus réactives et pilotées par les résultats, l’absence de métriques mesurables constitue une vulnérabilité notable.
Le plan s’articule par ailleurs autour de comités, démarches de coordinations et dispositifs interministériels. Une structure sans doute robuste mais très hiérarchisée, qui semble s’éloigner de l’agilité nécessaire pour réagir rapidement aux risques émergents.
On peut encore s’interroger sur le sujet central des moyens alloués, sur lesquels le plan est bien peu précis… Comment l’AFA peut-elle en assurer l’application de manière efficace quand ses effectifs sont assez limités et stagnent de manière chronique ?
Nous nous étonnons enfin que le plan soit bien peu loquace s’agissant des sanctions des contrevenants : alors que plusieurs mesures sont proposées s’agissant de la formation et de l’accompagnement, il n’est manifestement pas question de renforcer la dimension contrôle de l’AFA.
Dans tous les cas, la crédibilité du plan dépendra de sa mise en œuvre : cela implique suivi rigoureux des mesures évoquées, moyens adéquats et pilotage effectif de l’ambition affichée.