Évaluation des risques BC-FT de la Commission Européenne 2022 : notre synthèse

La Commission Européenne vient de publier sa troisième évaluation des risques de BC-FT portant sur le marché intérieur et les activités transfrontalières.

Ce rapport, dont la synthèse est disponible en français, répond à une recommandation du GAFI sur l’évaluation des risques de BC-FT, et vient compléter les Analyses Nationales des Risques (ANR) conduites par les États membres. Il fait suite à une première évaluation de la Commission en 2017 et une seconde en 2019, et ambitionne de recenser et d’évaluer de manière exhaustive toutes les zones de risques, par secteurs et produits. Ce document devait initialement être publié en 2021, mais fut retardé par la pandémie de Covid-19.

La méthodologie de la Commission repose sur une succession d’échanges avec des organisations représentatives des secteurs évalués, des experts thématiques et des chercheurs, et s’appuie sur les travaux conduits par ailleurs par les ANR – la dernière évaluation française date de 2019 et devrait prochainement être actualisée.

Le Covid-19 et la guerre en Ukraine pris en compte dans l’évaluation

Le rapport de la Commission souligne d’emblée les impacts de la crise faisant suite au Covid-19 d’une part et ceux de la guerre en Ukraine d’autre part.

La pandémie et les mesures de confinement ont ainsi entraîné des modifications des comportements criminels, accroissant le risque de blanchiment de capitaux dans de nombreux secteurs et activités (liés notamment aux nouveaux mécanismes de fraude des aides d’État, à la vente de produits médicaux non autorisés, à l’augmentation du cybercrime).

L’attaque de l’Ukraine par la Russie a par ailleurs justifié un accroissement considérable des sanctions et mesures restrictives, impliquant de nouvelles zones de risques (dissimulation de contrôles de sociétés par des oligarques faisant l’objet de sanctions, opacité accrue de certaines opérations internationales, augmentation du recours à des sociétés-écrans et aux prête-noms, etc.).

43 produits et activités évalués au sein de huit grands secteurs

Au-delà de ces deux évènements spécifiques, l’évaluation de la Commission Européenne a porté sur 43 items, répartis en huit familles pour lesquelles le rapport de synthèse fournit ses conclusions ;

1 – Concernant les produits et services liés aux espèces, le rapport souligne que l’économie criminelle s’appuie toujours essentiellement sur le recours aux espèces, qui peuvent être converties en avoirs anonymes non contrôlés aux frontières. La réglementation portant sur le contrôle des mouvements d’argent liquide s’est récemment renforcée, mais les divergences entre les réglementations nationales impliquent un risque de relocalisation d’activités criminelles vers certains états. En conséquence, le risque associé au cash demeure important ;

2 – S’agissant du secteur financier - qui inclut le secteur bancaire et assurantiel, mais aussi la monnaie électronique, les services de paiement et les crypto-actifs, la Commission indique que les menaces ont déjà bien été identifiées et évaluées. Toutefois, les risques associés aux crypto-actifs sont en augmentation et doivent être davantage supervisés ;

3 – Les secteur et produits non financiers intègrent notamment les montages juridiques complexes (trusts), toujours utilisés pour opacifier les transactions. Les sociétés prestataires de services sont également susceptibles d’être utilisées pour blanchir des produits illicites. Enfin, le secteur de l’immobilier demeure exposé, notamment à la criminalité fiscale ;

4 – Le secteur des jeux d’argent et de hasard a vu son activité augmenter pendant et après la pandémie de Covid-19, accroissant les risques de blanchiment associés. La Commission a par ailleurs décidé d’évaluer pour la première fois les jetons numériques échangeables et à haute valeur utilisés dans les jeux vidéo comme des éléments assimilés aux crypto-actifs (cf. la seconde famille donc);

5 – S’agissant des collectes et transferts de fonds par l’intermédiaire d’organismes à but non lucratif, le rapport souligne que ces derniers sont depuis quelques années plus conscients des risques auxquels ils sont exposés, ce qui a permis une augmentation des effectifs d’audit et de contrôle au sein de certains d’entre eux;

6 – Le secteur des sports professionnels demeure un secteur à risque modéré mais constants ;

7 – Les zones de libre-échange constituent un secteur particulièrement exposé aux risques BC-FT internationaux et transfrontaliers. Le rapport mentionne toutefois un travail en cours mené par la Commission et consistant à l’évaluation des zones franches présentes au sein de l’UE. La prochaine analyse des risques pourrait donc être enrichie de ce travail ;

8 – Concernant enfin les programmes de citoyenneté et de résidence par investissement, le risque demeure stable malgré une limitation progressive d’États concernés : seul Malte propose encore un programme de citoyenneté par investissement, et 19 États proposent des programmes de résidence par investissement.

Quelques recommandations bien connues, mais des pistes pertinentes pour un meilleur pilotage

Le rapport se conclut par une partie dédiée aux mesures d’atténuation que les États devraient prendre de manière coordonnée. La Commission reprend toutefois l’avertissement émis par l’ABE s’agissant des pratiques de derisking, qu’il convient de limiter.

Les recommandations mentionnées par le rapport ne sont pas inédites mais permettent de rappeler les principales défaillances dans le pilotage national et communautaire des risques de BC-FT intérieurs et transnationaux : améliorer les mesures de transparence vis-à-vis des bénéficiaires effectifs, renforcer les ressources et les effectifs des autorités de surveillances et des CRF, harmoniser davantage les réglementations nationales, mais aussi accentuer les travaux d’inspections sur place.

Quelques recommandations thématiques par secteur et produits sont également mentionnées dans le rapport, mais consistent essentiellement à décliner les recommandations nationales – en particulier s’agissant de l’identification des bénéficiaires effectifs.

Les notations par produits : notre tableau de synthèse en français

Le rapport d’évaluation est accompagné d’un document de travail complémentaire très complet, disponible uniquement en anglais et détaillant l’évaluation de chaque produit et secteur analysés par la Commission. Ce document de travail permet donc de revenir sur la notation de chaque élément évalué, suivant la méthodologie retenue par la Commission Européenne.

Pour davantage de lisibilité, nous avons repris les données du document de travail et les avons consolidées dans le tableau suivant, traduit en français pour l’occasion :

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