Les nouvelles technologies, une solution pour éradiquer la fraude fiscale

Julien Briot-Hadar est expert en conformité et fondateur de BH Compliance Consulting. Il est également conférencier et auteur, notamment du livre «Dans les méandres de la fraude fiscale», paru l’année dernière.

Le 23 octobre 2023, l’Observatoire européen de la fiscalité, centre privé de recherche cofinancé par l’Union européen et dirigé par l’économiste français Gabriel Zucman, a publié un rapport sur l’état de l’évasion fiscale dans le monde.

On y apprend que l’évasion fiscale des personnes physiques a été divisé par trois grâce aux échanges automatiques d’informations bancaires, instaurés en septembre 2017. Ainsi, 13 000 milliards d’euros sont récupérés chaque année. A ce jour, le patrimoine financier offshore des ménages représente l’équivalent de 10 % du PIB mondial, mais selon l’étude, seulement approximativement 25 % de ce patrimoine échappe à l'impôt.

Eu égard aux personnes morales, l’équivalent de 35 % de l’ensemble des bénéfices enregistrés par les entreprises multinationales sont envoyés en dehors de leur pays d’origine, dans des centres financiers offshore comme les Pays-Bas ou l’Irlande.

 

Pour ce billet, après un rappel des trois termes incontournables lorsque l’on aborde la compliance fiscale, nous soulignerons l’importance d’utiliser les nouvelles technologies pour mettre fin au fléau de la fraude fiscale.

Trois notions à différencier : optimisation fiscale légitime, optimisation fiscale agressive, fraude fiscale

L’optimisation fiscale légitime et l’optimisation fiscale agressive

Dans le rapport d’information sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international déposé par la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire en juillet 2013, l’optimisation fiscale est définie comme « l’utilisation par le contribuable de moyens légaux lui permettant d’alléger son impôt. Elle traduit l’habileté du contribuable à tirer le meilleur parti des dispositions fiscales applicables dans son État d’imposition mais aussi – le cas échéant – à l’étranger, en les combinant, en jouant de leurs contradictions et de leurs ambiguïtés afin de réduire l’impôt dû ». L’ingéniosité fiscale des contribuables n’est alors pas répréhensible dans la mesure où elle s’inscrit dans le cadre strict de la réglementation en vigueur. La jurisprudence administrative a d’ailleurs consacré ce « droit à l’agilité fiscale ». Concrètement, « entre deux solutions produisant les mêmes conséquences juridiques, le contribuable peut opter pour celle qui aboutit à une minoration de son impôt, un tel choix étant parfaitement licite ».

Depuis la directive DAC 6, l’optimisation fiscale peut être considérée comme légitime ou agressive. L’optimisation fiscale agressive consiste à tirer parti des subtilités d’un système fiscal ou des incohérences entre plusieurs systèmes fiscaux afin de réduire l’impôt à payer. L’optimisation fiscale légitime est un mécanisme d’évitement de l’impôt respectant la légalité. Elle consiste notamment à exploiter les niches fiscales ou régimes dérogatoires.

Soulignons-le, l’évasion fiscale est un terme souvent utilisé dans la presse mais qui est dépourvu de définition juridique précise. Toujours est-il qu’elle recouvre la fraude fiscale et l’optimisation fiscale agressive, prenant en compte les montages complexes.

La fraude fiscale

La fraude fiscale constitue un délit codifié à l’article 1741 du Code général des impôts. Commet une fraude fiscale toute personne qui, frauduleusement, s’est soustraite ou a tenté de se soustraire à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts par :

  • Omission volontaire de déclaration dans les délais de prescription ;

  • Dissimulation volontaire d’une part des sommes sujettes à l’impôt ;

  • Organisation de sa propre insolvabilité ou mise en œuvre d’obstacle par d’autres manœuvres au recouvrement de l’impôt ;

  • Agissement de manière frauduleuse.

Cette infraction suppose donc la réunion de trois éléments, à savoir: élément légal (le non-respect du droit fiscal) ; élément matériel (l’impôt éludé) ; élément moral (faute intentionnelle ou non intentionnelle).

L'utilisation de l'Intelligence artificielle pour éradiquer la fraude fiscale

La solution la plus prometteuse et sur laquelle le gouvernement devrait véritablement se pencher pour éradiquer la fraude fiscale est le recours aux nouvelles technologies. La Direction générale des finances publiques (DGFiP) utilise déjà certaines nouvelles technologies en interne, mais elle pourrait également y recourir dans une dimension internationale et notamment dans l’échange automatique d’informations fiscales.

La première étape serait d’utiliser la blockchain. Pour rappel, la blockchain est une base de données décentralisée qui permet de stocker et d’échanger des informations de manière transparente et sécurisée. Les informations sont contenues dans des blocs de données protégées par des cryptages qui empêchent de pouvoir les modifier une fois enregistrés. On peut dire que c’est un registre numérique infalsifiable et inaltérable.

Pour garantir la fiabilité et l’intégrité des données, la blockchain fait appel à des « mineurs », choisis parmi ses intervenants (participants, contributeurs ou lecteurs) qui, suivant des règles prédéfinies (conditions d’utilisation des fonds), valident les informations avant de les inscrire, de façon définitive, dans la chaîne. Les blocs d’informations, horodatés, ne peuvent plus être modifiés. Les participants au système sont appelés « nœuds ». Tous les intervenants contribuent à l’enrichissement de la base de données.

Nous pourrions utiliser la blockchain en vue de créer un registre numérique mondial accessible à l’ensemble des administrations fiscales nationales et répertoriant l’ensemble de toutes les transactions financières. Par exemple, la société SWIFT pourrait être une société de minage.

La deuxième étape consisterait à utiliser le machine learning, soit la capacité d’une machine à apprendre par elle-même. Cette technique repose sur l’analyse, par le moyen d’algorithmes, d’une somme de données provenant de différentes sources. Cette analyse est facilitée par la généralisation des bases de données.

En appliquant des probabilités à ces données, la machine va être capable de prendre une décision, qui peut être validée ou corrigée. Le programme est ainsi aidé, progressivement, à faire le meilleur choix possible lorsque la situation se présentera à nouveau. Le machine learning nous serait particulièrement utile pour remonter aux agents de la DGFiP toute opération anormale.

Pour expliciter nos propos, prenons la lutte contre la fraude à la TVA : lorsqu’une entreprise achète des produits auprès d’une autre société, celle-ci émet une facture mentionnant le montant de TVA. La blockchain permettrait d’avoir une traçabilité de l’opération. L’utilisation, par la suite, du machine learning permettrait à l’administration fiscale de pouvoir détecter des anomalies, avant que la personne malintentionnée ait disparu. Cette proposition nécessite bien évidemment les efforts de tous les pays et, pour certains, un changement drastique de leur cadre normatif.

Des problèmes juridiques ont été soulevés en septembre 2021 par le ministère de l’Économie et des Finances en France. Pour le moment, la DGFiP doit passer par des réquisitions spéciales aux banques.

Ces obstacles peuvent être vaincus et le ministère de l’Économie et des Finances peut très bien réussir à convaincre la direction interministérielle du numérique (Dinum) de l’utilité d’avoir accès à ces informations.

 

Si nous le souhaitons vraiment, éradiquer la fraude fiscale de notre quotidien est bel est bien possible mais nécessitera une forte mobilisation.

Julien Briot-Hadar

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