Immersion à la DNRED, quand les douanes supervisent la LCB-FT

Quel est le point commun entre un conteneur maritime, un portefeuille de cryptoactifs et un antiquaire ? Entre un yacht, un réseau de trafic de cigarettes et un commissaire-priseur ? Et entre une fraude aux finances publiques, une bijouterie et des plateformes de vente d’armes ? Tous ces éléments font l’objet de contrôles par la douane française. Si le rôle de la douane en matière de contrôle des marchandises est connu, l’éventail des missions conduites par les 17 000 douaniers est bien plus large. La douane assure trois grandes missions : d’abord une mission fiscale, compétence originelle en ce qu’elle établit et perçoit les droits de douanes, mais aussi une mission économique, en soutenant les entreprises françaises pour améliorer leur compétitivité. Une mission de protection enfin, sans doute la plus connue, en luttant contre une grande diversité de trafics tels que les stupéfiants, de contrefaçons ou encore la contrebande de tabac et d’armes.

Depuis 2016, la douane dispose en outre d’une nouvelle compétence en matière de supervision LCB-FT de trois catégories de professionnels du secteur non financier. Pour en savoir plus, nous avons été reçus au siège de la DNRED, à Ivry-sur-Seine, où nous avons eu l’occasion de voir les agents à l’œuvre et d’échanger avec le responsable de la mission chargée de la supervision LCB-FT.

La DNRED, au cœur du dispositif douanier national

Créée pour la ville de Paris en 1935, la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED) a vu sa compétence étendue sur l’ensemble du territoire national dès l’année suivante. Elle est l’un des services à compétence nationale de la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects (DGDDI), elle-même rattachée au ministère de l’Economie et des Finances.

La DNRED s’appuie sur 850 agents répartis au siège de la direction, mais aussi en région et en outre-mer. Elle assure principalement des missions de lutte contre la fraude, notamment en matière de trafic de stupéfiants, de fraude aux droits de douane, de contre-prolifération ou encore de protection de l’environnement. Positionnée sur le haut du spectre de la criminalité, son action s’articule avec celle des 42 directions régionales qui constituent le maillage territorial de l’administration des douanes. La direction a par ailleurs récemment mis en place un nouveau service dédié à la prévention du blanchiment et disposant d’une mission supervision LCB-FT.

Douane et renseignement : une double identité

La DNRED est à la fois un service douanier et un service de renseignement. A ce titre, ses pouvoirs lui sont confiés aussi bien par le code des douanes que par le code de la sécurité intérieure. La DNRED fait partie de la communauté française du renseignement et constitue l’un des deux services de renseignement rattachés à Bercy aux côtés de Tracfin.

Les profils des agents de la DNRED sont particulièrement variés : si la Direction compte un nombre important de douaniers, elle s’appuie également sur du personnel issu d’autres administrations et depuis récemment sur des contractuels. La mission de supervision LCB-FT intègre notamment des profils issus de la DGT, de Tracfin ou encore de l’ACPR. Les motivations des agents sont par ailleurs très différentes : nous avons rencontré des personnes issues de fonctions administratives, d’IEP ou de facs de droit mais aussi des agents entrés en douane par passion pour les pierres précieuses.

Crédits photo: Douane française

La DNRED et la LCB-FT : trois secteurs supervisés

Les missions directes de la DNRED en matière de supervision de la LCB-FT sont assez récentes – les premiers contrôles datant de 2019 - mais les services douaniers ont un lien indirect ancien avec notre thématique : outre le contrôle des marchandises qui a toujours fait du douanier un acteur de la lutte contre les stupéfiants, la Direction dispose historiquement d’une mission en matière de lutte contre le trafic de biens culturels. C’est donc assez naturellement que la DNRED est devenue l’entité en charge de la supervision des marchands d’art et d’antiquité. Ce rôle a été ensuite étendu en 2020 aux commerçants de pierres et métaux précieux et aux opérateurs de ventes aux enchères publiques.

Pour ces trois secteurs, les obligations de LCB-FT ne doivent être mises en œuvre que pour les transactions d’un montant supérieur à 10 000 euros, conformément à l’article L561-2 du code monétaire et financier. Les obligations de mise en œuvre des sanctions s’imposent cependant dès le premier euro – c’est cette fois l’article L562-4 du CMF.

Crédits photo: Douane française

Quel poids représente ces trois secteurs ? Difficile à dire. Pour les commissaires-priseurs, c’est assez simple dans la mesure où la profession est réglementée. D’après le Conseil des maisons de vente, on comptait 458 maisons de vente actives en France en 2022. La France est la quatrième place mondiale – et la deuxième au niveau européen derrière la Grande Bretagne – du marché des ventes aux enchères. Plus d’un tiers des biens vendus aux enchères en France sont adjugés à des acheteurs étrangers.

Les activités de commerce d’art, d’antiquités, de pierres et de métaux précieux étant de libre exercice, le bilan comptable est plus délicat. Dans son analyse sectorielle des risques de BC-FT, la DNRED a retenu les chiffres d’environ 4 200 professionnels du commerce de métaux précieux mais ces chiffres sont nécessairement incertains. Les marchands d’art seraient près de 10 000 mais seule une minorité serait concernée par des transactions à plus de 10 000 euros. Selon l’Analyse Nationale des Risques de BC-FT, le risque de blanchiment est élevé s’agissant des opérations portant sur l’or et modéré s’agissant du commerce d’art et d’antiquités et des ventes d’autres marchandises aux enchères.

Un superviseur LCB-FT qui monte en puissance

En tant que superviseur de ces trois secteurs, la DNRED doit assurer, d’une part, la sensibilisation et l’accompagnement des professionnels, et, d’autre part, contrôler qu’ils respectent effectivement leurs obligations. Dans ce but, la Direction a choisi de mettre en place une unité dédiée à ces activités, la mission supervision LCB-FT. De taille encore restreinte, celle-ci devrait rapidement monter en puissance puisqu’il est question de 18 agents à terme.

La mission est divisée en deux équipes :

  • Un pôle accompagnement, qui travaille, en lien avec les organisations professionnelles du secteur, à sensibiliser les professionnels aux risques auxquels ils sont exposés et à l’élaboration de lignes directrices. Celui-ci a notamment publié un mémo (téléchargeable ici) facilitant la compréhension des obligations LCB-FT ;

  • Un pôle contrôle dans lequel les agents sont chargés d’évaluer le dispositif LCB-FT des professionnels. Ce contrôle porte d’une part sur leur organisation interne et d’autre part sur le respect de leurs obligations à partir d’un échantillon d’opérations sélectionnées à cet effet. Au terme du contrôle, ils rédigent un rapport qui peut, selon la gravité des manquements constatés, être communiqué à la Commission Nationale des Sanctions. Cette autorité peut prononcer à l’encontre des professionnels du secteur non financier des sanctions pécuniaires, des restrictions d’activité voire exiger la publication de la décision dans des revues spécialisées, publication qui peut être nominative.

Mais comme nous l’ont indiqué les agents de la mission supervision LCB-FT, la priorité demeure aujourd’hui l’accompagnement et la mobilisation des trois secteurs contrôlés. Cela passe notamment par la création d’une page dédiée à la supervision de la LCB-FT recensant toutes les publications de la Direction, ainsi que, depuis quelques semaines, d’un flash-info thématique – auquel vous pouvez vous inscrire en suivant ce lien.

Mise à jour du 5 mars 2024: pour plus d’informations, nous avons publié une interview de Florian Colas, Directeur de la DNRED, que vous pouvez retrouver ici.

Mise à jour du 13 mars 2024: depuis le 8 mars, la DNRED est dotée d’une nouvelle mission s’agissant du renseignement fiscal.

Précédent
Précédent

L’autorité européenne de l’anti-blanchiment sera à Francfort

Suivant
Suivant

Immobilier, blanchiment, bénéficiaires non déclarés: retour sur le rapport de Transparency France