Condamnation d'ING France pour déficiences LCB-FT: que retenir de la décision de l'ACPR?

BLL est expert en conformité réglementaire et AML officer au sein d’un cabinet de conseil spécialisé en Sécurité Financière. Il a travaillé en coopération avec plusieurs établissements financiers d’envergure internationale.

Le 24 février dernier, la commission des sanctions de l’ACPR rendait sa décision – un blâme assorti d’une sanction de 3 millions d’euros – à l’égard de l’établissement bancaire ING Bank France, succursale française du groupe bancaire néerlandais ING Group.

​Je profite de cette occasion pour proposer une brève analyse de cette décision, car je considère que cela constitue un exercice intéressant et utile, dans une perspective de réflexion et de diffusion de la connaissance de la LCB-FT. Une décision de la commission des sanctions reflète en effet les difficultés des banques et des établissements financiers en matière de LCB-FT, mais aussi les points d’attention du régulateur, qui peuvent changer selon l’évolution de l’environnement. Je mentionnais par exemple dans un billet précédent le fait que les sanctions couvrent de plus en plus les fintechs, établissements de monnaie électronique et nouveaux services de paiement, preuve de l’accroissement de la surveillance sur les innovations bancaires.

​La publication de la décision: un exercice de transparence?

​Que nous apprends donc la décision à l'égard d'ING ?

​Premièrement, qu’elle se fonde sur les conclusions d’un contrôle sur place, réalisé par l’ACPR entre septembre 2018 et février 2019. Ce sont donc des travaux au sein même d’ING qui ont permis d’identifier des défaillances significatives, et qui ont donné suite à une procédure disciplinaire à l’encontre de la banque. On pense souvent que les sanctions font suite à des plaintes de clients lésés, à des dénonciations internes, à des enquêtes pénales à l’égard d’un acteur menant à des investigations plus poussées, ou à des travaux conduits par des ONG ou des médias. Les travaux d’inspection exercés directement par le régulateur sont pourtant une source très importante de contrôle et mènent souvent à des sanctions.

​Deuxièmement, qu’elle s’appuie sur dix griefs spécifiques, tous différents mais tous liés aux obligations LCB-FT. Il est à noter que la mission d’inspection de l’ACPR a probablement relevé plus de défaillances encore, mais que seules les plus significatives ont été retenues contre ING. Or, tous ces griefs sont décrits de manière précise par la décision publique de l’ACPR, et soulignent donc d’importants aspects organisationnels et opérationnels de la banque. Cette publicité de données qui pourraient, dans d’autres circonstances, être considérées comme confidentielles, témoignent bien d’une évolution des pratiques. Les décisions de l’ACPR sont de plus en plus transparentes : à l’égard des citoyens, bien sûr, mais également à l’égard des autres assujettis – les banques concurrentes d’ING savent à quoi s’attendre, et auront donc, avec le temps, de moins en moins d’excuses pour justifier de défaillances déjà maintes fois identifiées dans l’environnement bancaire et financier.

​Dans le même ordre d’idée, la décision de l’ACPR précise plusieurs informations relatives à la méthodologie des inspections sur place : par exemple, la justification du grief 5 (paragraphe 22), précise une méthode de contrôle employée par la mission sur place (le contrôle par échantillon de dossiers clients), mais aussi la volumétrie de l’échantillon (66 dossiers), le nombre de dossiers problématiques (16 dossiers), et même les numéros de ces dossiers, alors même que nous ne disposons pas de référentiel permettant de faire le lien entre ces numéros et les dossiers en question.

​Bien sûr, ce procédé n'est pas inédit avec le cas d'ING, et on trouvait déjà de telles informations dans des décisions antérieures. Mais il est intéressant de noter que dans une démarche de veille des décisions réglementaire, plus les décisions de l'ACPR sont nombreuses et précises, plus elles permettent de rendre compte du rôle du régulateur.

​L'appréciation de la réglementation: démarche systématique des travaux sur place

Et sur le fond des constats ? Les griefs portent sur différents manquements LCB-FT, notamment relatifs à la classification des risques, la surveillance des opérations, la connaissance de la clientèle, les déclarations de soupçon, le dispositif de gel des avoirs. En somme, de nombreux aspects très différents, tous soulignant un dispositif LCB-FT globalement trop fragile pour l’ACPR.

​Surtout, l’ACPR a retenu une approche très appréciative de la réglementation. Par exemple, le grief 2 (paragraphe 9) relève qu'« au moment du contrôle sur place, le profil de risque des relations d’affaires n’était pas établi par ING France de façon cohérente et pertinente ». Cette analyse, justifiée et documentée, témoigne de l’approfondissement des travaux sur place conduits par le régulateur, qui s’efforce d’apprécier le dispositif LCB-FT à partir de tests sur échantillon et d’interprétation de la réglementation. En ce sens, la décision de la commission des sanctions fait elle-même référence aux lignes directrices de l’ACPR (notamment au paragraphe 23), alors même que ces documents ne relèvent que du droit souple.

 

A titre personnel, j’estime que cette démarche est très pertinente dans une logique d’encadrement de la LCB-FT, et correspond au rôle de régulateur. En substance, l’ACPR considère que la réglementation existe depuis maintenant suffisamment longtemps, qu’elle a été raisonnablement explicitée, et que la jurisprudence de l’ACPR fournit encore des informations supplémentaires. Toutes ces raisons justifient un approfondissement des travaux de contrôle, et permettent une appréciation large des dispositifs et des pratiques en vigueur. Bien sûr, par la publicité de ces décisions, l’ACPR n’entend pas que peser sur le risque réputationnel associé aux obligations LCB-FT, mais aussi révéler ses attentes croissantes aux assujettis.

BLL

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